La notion raciale au fil du temps
La notion raciale a évolué au fil du temps et a revêtu différentes significations selon les époques et les cultures, tout en gardant certaines constantes comme la notion de traits héréditaires. Bien que le concept de race tel que nous le connaissons aujourd’hui ait pris forme au cours des siècles, on peut trouver des traces de cette notion dans l’Antiquité et au Moyen Âge. Cette page se propose d’examiner les preuves de l’existence de la notion de race à travers l’histoire et d’explorer comment elle a évolué.
Antiquité
Dans l’Antiquité, la notion de race existait principalement sous la forme de distinctions ethniques et culturelles. Les peuples antiques classaient souvent les autres selon leur origine géographique et leurs traits culturels plutôt que leurs caractéristiques physiques, parce que celles-ci y étaient associées et qu’il s’agissait de généralités.
- Les Grecs anciens utilisaient le terme « ethnos » pour désigner des groupes de personnes partageant une origine et des coutumes communes (Herodote, Histories, 5ème siècle av. J.-C.). Ils classaient les peuples non-grecs, tels que les Perses et les Égyptiens, comme des « barbares » en raison de leurs différences culturelles, notamment linguistiques.
- Les Romains, quant à eux, considéraient les différentes tribus et peuples qu’ils rencontraient comme des « gentes » ou des « nationes » (Tacite, Germania, 1er siècle ap. J.-C.). En latin latin « natio » ou « nationes » signifie un groupe de personnes partageant une origine ou une ascendance commune. Le terme latin « natio » est lui-même dérivé du verbe « nasci », qui signifie « naître ». Ainsi, le concept de nation est étroitement lié à l’idée d’une origine commune et d’une parenté partagée entre les membres d’un groupe. Le mot latin « gentes » quant à lui signifie un groupe de familles partageant un nom et une ascendance communs. Les « gentes » étaient donc des groupes sociaux et politiques fondés sur une identité et une affiliation familiales partagées.
Moyen Âge
Au Moyen Âge, la notion de race prenait la forme de distinctions ethniques, nationales et religieuses. La classification des peuples était basée sur des critères tels que la religion, la langue et l’appartenance à une nation ou un royaume.
- Les auteurs médiévaux, tels que Isidore de Séville (7ème siècle) et Hugues de Saint-Victor (12ème siècle), classaient les peuples selon leur origine biblique, en les faisant remonter aux trois fils de Noé : Sem, Cham et Japhet. Ces classifications avaient des connotations religieuses et servaient à justifier les hiérarchies sociales et politiques de l’époque.
- Les croisades (11ème-13ème siècles) ont renforcé la distinction entre les chrétiens et les non-chrétiens, et ont contribué à la perception d’une opposition entre les peuples d’origine européenne et ceux d’origine orientale, tels que les musulmans et les juifs (Riley-Smith, 2005, The Crusades: A History)
Renaissance et Époque moderne
La notion de race a commencé à prendre une dimension plus biologique à partir de la Renaissance et de l’époque moderne, avec les découvertes géographiques et les premières classifications scientifiques des êtres humains. Le mot « race » vient de l’ancien français « raçe » ou « rase », possiblement influencé par l’italien « razza », qui sont tout deux dérivés du latin « radix », signifiant « racine ». Le terme « race » a été utilisé pour la première fois pour décrire des groupes humains distincts sur la base de caractéristiques physiques et biologiques au 16ème siècle.
- Les explorateurs européens du 15ème siècle et au-delà ont rencontré de nouveaux peuples et cultures, ce qui a conduit à une classification plus systématique des êtres humains selon leurs caractéristiques physiques et culturelles.1Curtin, 1998, The Rise and Fall of the Plantation Complex
- Les naturalistes et les anthropologues du 18ème et 19ème siècles, tels que Carl von Linné (1707-1778) et Johann Friedrich Blumenbach (1752-1840), ont commencé à classer les êtres humains en différentes « races » sur la base de caractéristiques physiques, telles que la couleur de la peau, la forme du crâne et d’autres traits anatomiques.2Linné, Systema Naturae, 1735; Blumenbach, De Generis Humani Varietate Nativa, 1775 Ces classifications reposaient sur des observations empiriques et des théories scientifiques de l’époque, et ont jeté les bases de la notion moderne de race.
Époque contemporaine
Au XIXème siècle, le comte Arthur de Gobineau, un diplomate et écrivain français, a développé une théorie influente sur les races humaines. Dans son ouvrage majeur, « Essai sur l’inégalité des races humaines » (1853-1855), Gobineau a soutenu que les races humaines (noire, blanche, jaune) étaient inégales et que les Aryens, « race des seigneurs » qu’il considérait comme supérieure aux autres groupes ethniques blancs, c’est-à-dire aux prolétaires blancs européens, étaient responsables de la création des grandes civilisations. Dans un contexte de déclin de l’efficacité de la légitimation religieuse de la suprématie bourgeoise, cette légitimation fondée sur la biologie a séduit une bonne partie de la bourgeoisie contre-révolutionnaire du XIXe siècle qui devait justifier ses privilèges face à un prolétariat qui les remettait en question à mesure qu’il s’élevait. Les idées de Gobineau ont eu une influence significative sur les théories raciales et eugéniques ultérieures, notamment en Allemagne, où elles ont contribué à la formation de l’idéologie nazie.
La notion de race a continué à évoluer après la Seconde Guerre Mondiale, avec des débats et des controverses persistantes. Le bionégationnisme racial se fonde sur l’idée que les études génétiques et anthropologiques auraient montré que les différences entre les groupes humains sont en grande partie superficielles et que la diversité génétique au sein des groupes est souvent plus importante que celle entre les groupes.3Lewontin, 1972, The Apportionment of Human Diversity
La notion de race continue à jouer un rôle important dans les discussions sur l’identité, les politiques sociales et la justice. Les chercheurs et les militants en faveur de l’interdiction de la notion de race mettent en avant les inégalités et les discriminations basées sur la race4Omi & Winant, 1994, Racial Formation in the United States tout en n’en étudiant que les causes sociales et culturelles, partant du dogme obligatoire selon lequel toute différence n’est que le résultat d’une construction artificielle humaine et qu’il doit rester impensable de se demander s’il pourrait y avoir un fondement biologique aussi infime soit-il.
Conclusion
La notion de race a traversé l’histoire, prenant différentes formes et significations selon les époques et les cultures. Bien que le concept de race tel que nous le connaissons aujourd’hui ait évolué au fil des siècles, il est clair que la notion de race a existé de diverses manières dans l’Antiquité et au Moyen Âge, sous la forme de distinctions ethniques, culturelles et religieuses. Comprendre l’évolution de la notion de race à travers l’histoire peut nous aider à mieux saisir les enjeux et les débats actuels autour de ce concept complexe et controversé.
Notes et références