Gynophobie

La gynophobie désigne la haine des femmes. « Gyno- » signifie la femme, -phobie signifie la peur et par extension le rejet et la haine.

Il s’agit de toutes les violences physiques et morales faites aux femmes parce qu’elles sont des femmes, et de tous les discours tendant à les légitimer : infériorisation, exclusion, intimidation, menaces, brimades, harcèlement de rue.

Dimension anthropologique de la gynophobie

L’anthropologue Françoise Héritier a mis en évidence une constante gynophobe dans toutes les sociétés humaines, qu’elle nomme « valence différentielle des sexes ».

Selon Françoise Héritier, la distinction entre féminin et masculin est universelle et « partout, de tout temps et en tout lieu, le masculin est considéré comme supérieur au féminin 1Françoise Héritier, Michelle Perrot, Sylviane Agacinski, Nicole Bacharan, La plus belle histoire des femmes, Seuil, » ; elle appelle cela la « valence différentielle des sexes ». Partant des travaux de Claude Lévi-Strauss, elle observe qu’un présupposé fondamental manque à sa théorie de l’alliance : pourquoi les hommes se sentaient-ils le droit d’utiliser les femmes comme monnaie d’échange ?

Elle écrit ainsi : « Cette forme de contrat entre hommes, l’expérience ethnologique nous la montre partout à l’œuvre. Sous toutes les latitudes, dans des groupes très différents les uns des autres, nous voyons des hommes qui échangent des femmes, et non l’inverse. Nous ne voyons jamais des femmes qui échangent des hommes, ni non plus des groupes mixtes, hommes et femmes, qui échangent entre eux des hommes et des femmes. Non, seuls, les hommes ont ce droit, et ils l’ont partout. C’est ce qui me fait dire que la valence différentielle des sexes existait déjà dès le paléolithique, dès les débuts de l’humanité 2Françoise Héritier, Michelle Perrot, Sylviane Agacinski, Nicole Bacharan, La plus belle histoire des femmes, Seuil, . »

Selon Françoise Héritier, l’observation du monde incluant les différences anatomiques et physiologiques conduit à une classification binaire : « La plus importante des constantes, celle qui parcourt tout le monde animal, dont l’homme fait partie, c’est la différence des sexes. (…) Je crois que la pensée humaine s’est organisée à partir de cette constatation : il existe de l’identique et du différent. Toutes les choses vont ensuite être analysées et classées entre ces deux rubriques (…). Voilà comment pense l’humanité, on n’a pas observé de sociétés qui ne souscrivent pas à cette règle. Dans toutes les langues il y a des catégories binaires, qui opposent le chaud et le froid, le sec et l’humide, le dur et le mou, le haut et le bas, l’actif et le passif, le sain et le malsain… 3Françoise Héritier, Michelle Perrot, Sylviane Agacinski, Nicole Bacharan, La plus belle histoire des femmes, Seuil, »

Elle considère que dans toutes les langues, ces catégories binaires sont rattachées au masculin ou au féminin. Par exemple, le chaud et le sec sont rattachés au masculin dans la pensée grecque, le froid et l’humide au féminin. Ces catégories sont toujours culturellement hiérarchisées : « L’observation ethnologique nous montre que le positif est toujours du côté du masculin, et le négatif du côté du féminin. Cela ne dépend pas de la catégorie elle-même : les mêmes qualités ne sont pas valorisées de la même manière sous toutes les latitudes. Non, cela dépend de son affectation au sexe masculin ou au sexe féminin. (…) Par exemple, chez nous, en Occident, « actif » (…) est valorisé, et donc associé au masculin, alors que « passif », moins apprécié, est associé au féminin. En Inde, c’est le contraire : la passivité est le signe de la sérénité (…). La passivité ici est masculine et elle est valorisée, l’activité – vue comme toujours un peu désordonnée – est féminine et elle est dévalorisée 4Françoise Héritier, Michelle Perrot, Sylviane Agacinski, Nicole Bacharan, La plus belle histoire des femmes, Seuil, . »

Ces catégories de valeurs n’ont donc pour Françoise Héritier rien d’essentiellement négatif ou positif : elles sont construites et varient selon l’époque et les régions. Si une valeur est considérée comme positive, elle se trouve rattachée au masculin – et cette même valeur pourrait, sous une latitude différente ou à une autre époque, être considérée comme négative et alors être rattachée au féminin.

Elle montre que cette « valence différentielle des sexes », que d’autres comme Bourdieu appellent « domination masculine », résulte de la volonté des hommes, incapables d’enfanter, de contrôler la reproduction 5Agnès Fine, « Françoise Héritier, Masculin, Féminin. La pensée de la différence. Paris, O. Jacob, 1996. », Clio, Histoire‚ femmes et … Lire la suite. Pour elle, « le privilège exorbitant d’enfanter » a privé les femmes de la maîtrise de leur corps et de leur sexualité. Le prix de ce privilège en a été l’aliénation de leur corps par les hommes.

Dimension politique de la gynophobie : négation et invisibilisation de la gynophobie, promotion active de la gynophobie

Divers courants politiques se livrent à une promotion active de la gynophobie. Le camp conservateur qui accuse « la féminisation de l’Occident » d’être la cause de l’immigration de masse et de l’insécurité promeut activement la gynophobie par cette rhétorique : pour eux, ressembler à une femme est une insulte, et la féminité est considérée comme un vice, un principe corrupteur. Le camp conservateur est le principal créateur et diffuseur de mythes antiféministes et de mythes gynophobes tels que le mythe du protectorat viril ou encore le mythe des femmes responsables de l’immigration de masse et le mythe de la féminisation source de laxisme judiciaire.

La gynophobie est souvent invisibilisée par la gauche égalitariste sous le nom de « sexisme », terme qui dénonce l’inégalité sexuelle en tant que telle, au lieu de s’attacher à nommer la motivation haineuse et la cible de cette haine, comme le fait le terme gynophobie.

La gynophobie est souvent niée par le camp conservateur qui prétend que ce serait « aimer les femmes » que d’infantiliser les femmes, les condamner à la réclusion domestique et les réduire à la fonction maternelle.

Notes et références

Notes et références
1 Françoise Héritier, Michelle Perrot, Sylviane Agacinski, Nicole Bacharan, La plus belle histoire des femmes, Seuil,
2 Françoise Héritier, Michelle Perrot, Sylviane Agacinski, Nicole Bacharan, La plus belle histoire des femmes, Seuil,
3 Françoise Héritier, Michelle Perrot, Sylviane Agacinski, Nicole Bacharan, La plus belle histoire des femmes, Seuil,
4 Françoise Héritier, Michelle Perrot, Sylviane Agacinski, Nicole Bacharan, La plus belle histoire des femmes, Seuil,
5 Agnès Fine, « Françoise Héritier, Masculin, Féminin. La pensée de la différence. Paris, O. Jacob, 1996. », Clio, Histoire‚ femmes et sociétés, n°8,‎
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